Résumé de la thèse de doctorat de Sylvie Ratté
Membres du jury:
Jean-Guy Meunier, département de philosophie, Université du Québec à Montréal (directeur du Laboratoire d'ANalyse Cognitive de l'Information)
James Pustejovsky, département d'informatique, University Brandeis
Louisette Emirkanian, département de linguistique, Université du Québec à Montréal
Lorne H. Bouchard, département de mathématiques et informatique, Université du Québec à Montréal
Prix Marcel-Aimé Gagnon pour la meilleure thèse en sciences humaines, arts et lettres 1995.

L'interprétation des structures syntaxiques: une analyse computationnelle de la structure des événements

Dans cette thèse, nous présentons un modèle opératoire du lien interprétatif entre la syntaxe et la structure des événements. Notre hypothèse part du principe que la syntaxe articule ce qu'on pourrait appeler en faisant un parallèle avec la vision, le contour apparent des événements. Cette hypothèse nous amène à réanalyser en termes de configurations asymétriques, la projection des arguments d'un verbe et en termes de transitions fonctionnelles, les changements qui ont lieu. Le modèle définit ainsi une structure relationnelle et opérationnelle permettant d'envisager la signification de l'événement comme une chaîne d'interactions locales entre des objets, chaîne qui se trouve à induire une séquence de configurations locales. Cette conception théorique nous permet d'offrir une définition aspectuelle des rôles thématiques et d'intégrer de manière naturelle l'apport des informations temporelles et spatiales dans l'interprétation de ces concepts.
Notre analyse est computationnelle dans le sens qu'elle définit un lien entre deux types de représentations (la syntaxe et les événements). C'est donc au niveau de la compétence (le computationnel au sens de Marr, 1982) et non au niveau algorithmique ou physique que se situe notre exposé. Le modèle proposé est à la fois explicatif et opérationnel. Il permet d'une part, d'associer aux significations de nature événementielle une structure pouvant rendre compte des changements qui ont lieu et des types d'objets/individus qui participent à ces changements et d'autre part, de générer (entendre calculer) l'événement abstrait par l'intermédiaire de leur structure de signification.
Puisque selon une hypothèse largement admise en grammaire générative depuis plusieurs années, la syntaxe entre en relation, à plusieurs niveaux, avec différents types d'informations (connaissances du monde, représentations visuelles, espaces de croyances, mémoire, etc.), nous envisageons donc ici un sous-problème de l'interprétation sémantique. Notre analyse ne propose pas, contrairement à plusieurs recherches en linguistique computationnelle portant sur ce thème, une reconstruction de formules logiques ou représentationnelles pour vérifier l'adéquation de la théorie. Nous envisageons plutôt de générer des images en lieu et place de ces expressions formelles. Ces scènes visuelles permettent ainsi de visualiser la sémantique abstraite d'un énoncé.
Les structures proposées pour rendre compte de la sémantique de coutour des événements permettent ainsi des ajouts contextuels variés (positionnement selon un système de coordonnées, dimensionalité, vitesse, déplacement possible, etc.) afin de produire les images des participants en action. Plus particulièrement, ces ajouts ne déforment pas les structures événementielles de base portant à croire que ces relations constituent la base des significations des énoncés désignant des événements. Le modèle supporte ainsi la thèse que l'interprétation des événements peut se faire directement à partir des configurations syntaxiques.
Trois caractéristiques sous-jacentes aux structures d'événement guident l'élaboration du modèle: la directionalité, l'asymétrie et la dynamicité . La première permet d'une part d'établir un lien entre la structure relationnelle du modèle et des structures arborescentes et d'autre part, de distinguer l'interprétation contextuelle (ou situationnelle) de sa structure générative sous-jacente, la directionalité constituant la base des interprétations. Ce faisant, le modèle propose ainsi d'éliminer de la grammaire des notions qui ne sont interprétables et discernables que si l'événement est situé c'est-à-dire globalement interprété (les rôles thématiques), notions qui peuvent être dérivées des propriétés asymétriques du modèle. La troisième, permet de rendre opératoire (entendre générative) les significations abstraites ainsi modélisées et de rendre compte de la dynamique interne de tout événement (ancrage temporel et aspectuel).
Notre analyse n'est pas, contrairement à plusieurs études sur le sujet, empiriquement fondée. Elle est le résultat d'une recherche approfondie des solutions qui ont été proposées en linguistique mais aussi dans d'autres domaines, plus particulièrement en Intelligence Artificielle et en psychologie, pour rendre compte des faits d'interprétation. C'est donc une synthèse des solutions beaucoup plus qu'une analyse de faits particuliers qui guide notre cheminement.